DISNEY (W.)

DISNEY (W.)
DISNEY (W.)

Aucun genre cinématographique ne se réfère obligatoirement à un individu, excepté le dessin animé. En effet, il est impossible de l’étudier sans nommer Walt Disney. S’il a réussi, en évinçant par son organisation industrielle ses concurrents moins chanceux, à régner sur le genre aux États-Unis et ailleurs pendant de longues années, il a influencé peu ou prou toutes les écoles différentes de la sienne. Même la réaction «anti-Disney», qui a brillamment marqué le dessin animé dans les années 1955-1965, a été souvent le fait d’échappés des studios de Burbank. Créateur, en la personne de Mickey Mouse, du seul personnage de cinéma dont l’audience mondiale ait été comparable à celle de Charlot, précurseur du dessin animé abstrait, inventeur du dessin animé de long métrage, Disney mérite un réexamen artistique. Ayant réussi à se survivre et à «présenter», par-delà sa mort, des films et des rééditions, qui, au moins quantitativement, lui assurent une pérennité sans précédent et probablement sans suite, il lui est échu d’incarner un aspect sociologique essentiel du cinéma.

Le créateur de Mickey

Né le 5 décembre 1901 à Chicago, Walt Disney passe une enfance assez morne, dominée par le départ de sa mère qui ne reviendra jamais auprès de ses deux fils: Walt et son frère Roy, qui vivra constamment dans son ombre, et plus tard épaulera sa réussite financière. Il n’est pas interdit de voir l’effet de ce traumatisme dans l’attitude infantile que Walt adulte adoptera souvent, non seulement dans ses créations, mais à l’égard de ses visiteurs (qu’il oblige à participer à des jeux enfantins). Vendeur de journaux à dix ans, il fait un peu de théâtre, puis devient dessinateur de publicité dans une usine de machines agricoles, à Kansas City.

L’entreprise cherche de nouveaux moyens d’impact, et songe au cinéma. Pour elle, Disney réalise (1921) un dessin animé qui passera inaperçu. N’importe, il a trouvé sa voie. Il persévère et, dès 1922, utilise la trame des fairy tales (contes populaires) pour diverses firmes de Kansas City et de sa ville natale.

Le dessin animé comique et «artistique» est alors l’objet d’une certaine demande, à la suite de la découverte et de l’exploitation par les Américains des trouvailles du précurseur Émile Cohl. En 1926, Disney lance avec son ami d’enfance, Ub Iwers (dont la collaboration demeure une énigme non résolue), la série Oswald the Rabbit . Malheureusement, le producteur fait faillite et le joyeux lapin est vite mis sous séquestre. Entre-temps, Disney a fait preuve de son esprit inventif en dessinant près de trente cartoons d’une série Alice in Cartoonland : premier contact avec Lewis Carroll, qui a l’originalité de mêler personnages réels et dessinés, près de vingt ans avant Saludos Amigos .

C’est pourtant de deux cartoons médiocres, consacrés à un rat nommé Mortimer (1928), que Disney tirera dès l’année suivante la création qui va assurer sa gloire. Il modifie l’aspect de son personnage, lui prête une rondeur et une malice qui lui manquaient, et en fait Mickey Mouse . Succès immédiat, qui sanctionne une réussite: les premiers Mickey sont d’une fantaisie échevelée et d’un graphisme très sûr; le nonsense s’y épanouit, et une certaine angoisse s’y résout dans le droit fil des «histoires à faire peur» chères à l’enfance (The Skeleton Dance , 1929; Mickey’s Nightmare , 1932). Devenu musical, puis parlant, Mickey conquiert la couleur avec un petit chef-d’œuvre, Band Concert (1935). Il est excessif de chercher une idéologie dans ces courtes bandes qui n’ont d’autre but que de distraire, et dont les aspects moralisateurs reflètent l’habituelle «sagesse» (apparemment courte) des contes traditionnels.

Disney ne laisse pas de puiser par ailleurs dans le rayon anglo-saxon de cette bibliothèque traditionnelle (Mother Goose , 1931; Old King Caulus , 1933). Les aspects symboliques des contes qu’il utilise lui échappent complètement, ce qui n’aurait aucune importance si cette particularité n’avait pas influé sur l’échec relatif de son premier long métrage (environ une heure de projection): Blanche-Neige et les Sept Nains . Élaborée dès 1934, terminée en 1937, cette adaptation des frères Grimm vaut beaucoup mieux que sa réputation. Mais le caractère superficiel de la transposition, souligné par la mièvrerie du Prince (alors que Blanche-Neige est acceptable et la Reine sorcière assez saisissante), a dû heurter les subconscients américains. En effet, le film est «devenu» un succès en Europe.

Cependant, Mickey Mouse continuait sa carrière, flanqué d’une «fiancée» (Minnie, à qui la censure imposa le port d’une culotte), puis d’amis exubérants, le chien Pluto, la vache Goofy, et surtout le canard Donald. Leur rencontre fut encore marquée par quelques courts métrages très réussis (Clock Cleaners , 1936), mais bientôt ces animaux, plus anthropomorphiques que Mickey lui-même, le supplantèrent dans la faveur du public. Disney avait mis au point pour eux son fameux style de graphisme «en boucle», reposant sur quelques conventions (oreilles de face, quatre doigts) qui assurent l’aisance du tracé. Mais déjà le succès des Trois Petits Cochons (1934), film en soi plaisant, pouvait éveiller la crainte d’une certaine vulgarité bêtifiante.

Le potentat de Burbank

En 1938, ayant acquis son autonomie financière, Disney (auparavant sous contrat à R.K.O.) abandonna les studios assez vétustes où il travaillait pour ceux de Burbank, sa propriété personnelle, dont il avait tracé les plans. C’est à Burbank que va se développer la fabrication à la chaîne des dessins animés produits par Disney, puis la production d’autres films. Cette activité, toujours longtemps préparée, jamais bâclée quoi que vaille le résultat, mais planifiée d’une manière qui laisse peu de place au style personnel des dessinateurs, vaudra à Disney le record inégalé de vingt-neuf oscars en un quart de siècle. On se tromperait cependant en croyant que le succès commercial est garanti à ses créations: ayant groupé autour de lui des équipes innombrables qu’il dirige avec paternalisme, Disney tient à les faire vivre quoi qu’il advienne, et c’est la raison qu’il invoquera pour se lancer après 1950 dans la production de «vrais films», généralement médiocres, puis de films «de famille» basés sur des trucages d’une consternante banalité.

Les progrès techniques accomplis à Burbank sont décisifs: Disney fait mettre au point la coloration des Celluloïds par étalonnage, broyage électrique et distribution automatique qui garantissent une couleur identique d’un bout à l’autre d’un film. Dès 1938, il substitue aux panoramiques en maquettes les panoramiques peints qui lui seront reprochés plus tard, mais qu’il filme grâce à une caméra de son invention, la Multiplane, qui permet la profondeur «réelle» du champ. Les conséquences de la planification se font sentir: au sein des courts métrages à prétexte musical, les Silly Symphonies , Mickey disparaît bientôt, supplanté par les autres animaux: il n’est plus qu’un label de fabrique. En 1940, Disney donne coup sur coup deux longs métrages: Pinocchio et Fantasia . Le premier est une adaptation correcte, superficielle mais agréable, du chef-d’œuvre de Collodi. Fantasia est une entreprise autrement ambitieuse: c’est le choc de la culture «adulte» de la bonne société américaine, sous les espèces de la musique, avec un génie d’une inculture agressive (il demanda un jour: «Qui est Goya?») et dont le bon goût n’est pas la qualité la plus instinctive ni la plus évidente. Suite de morceaux musicaux commentés par l’image (et dont l’exécution en outre a été confiée à un chef hollywoodien assez pompier, Leopold Stokowski), Fantasia fait se succéder des réussites incontestables (le ballet Casse-Noisette ), pas toujours prévisibles (l’idée de transformer Le Sacre du Printemps en récit volutionniste des âges préhistoriques donne lieu à une évocation tout à fait remarquable), et des échecs flagrants (la symphonie Pastorale de Beethoven). Hommage est rendu au passage à Mickey par son créateur dans un amusant Apprenti sorcier . L’originalité de l’essai fut assez forte pour n’entraîner qu’un succès mitigé, et le temps n’a fait qu’accentuer ses mérites.

Après l’entrée en guerre des États-Unis, Disney fit œuvre de pionnier dans des films que nous ne connaissons malheureusement guère, films destinés à l’enseignement militaire et à la propagande, mais réalisés avec un luxe de moyens qui paraissent l’avoir conduit aux confins du dessin animé «abstrait» et «symbolique». Son intense activité dans ce domaine ne l’empêcha d’ailleurs pas de réaliser plusieurs longs métrages de divertissement, dont Saludos Amigos (où Donald danse la samba avec une danseuse «réelle»), et qui comportent deux chefs-d’œuvre, l’un comique (Dumbo ), l’autre émouvant (Bambi ). Ce n’est pas rien que d’avoir baptisé pour des milliers d’enfants, et même dans la langue courante, le faon ou le daim de ce nom improvisé.

Par contre, tous les défauts de Disney s’additionnent et s’alourdissent dans ses longs métrages à personnages humains: Cendrillon , Peter Pan , avant de rejaillir sur le monde animal (Les 101 Dalmatiens ). Il faut excepter de ce pénible naufrage quelques scènes bien venues de Merlin l’Enchanteur , adaptation fragmentaire et judicieusement modeste d’un «roman» de La Table ronde, et, ô surprise! Alice au pays des merveilles (Alice in the Wonderland ). Cette version passablement cauchemardesque, empreinte çà et là de délire et de stridence, n’est peut-être pas fidèle à la «lettre» de Carroll, du moins pas constamment; elle en transpose l’esprit avec un habile respect.

À partir de 1955, Disney, effrayé du coût croissant des longs et même des courts métrages, restreignit sa production de dessins animés. Il avait encore donné quelques courts métrages de valeur comme Tiger Trouble et surtout Toot, Whistle, Plunk and Boom , pastiche peut-être involontaire de films de ses jeunes concurrents (1954). Le dernier Goofy est de 1955, le dernier Donald , de 1958. À la fois statufié par l’admiration populaire et désacralisé par la critique, Disney se contenta dès lors de régner sur son empire. De sa production en prises réelles, il faut retenir surtout Le Désert vivant , montage de prises de vues du plus haut intérêt sur la vie des animaux sauvages, mais défiguré par l’emprise croissante des procédés maison: rythme pittoresque altérant la vérité des mouvements, musique et bruitage, voire commentaire, résolument bêtifiants. De ses autres productions, une seule, Mary Poppins , mérite de survivre grâce à d’excellents acteurs, à une photographie et à une musique également prenantes. Preuve par l’absurde que les temps ont changé: on en retrancherait sans dommage le passage de dessin animé que Disney a cru devoir y intercaler.

Le maître de Burbank régnait aussi sur Disneyland, un paradis pour enfants récapitulant son œuvre, et qu’il transposa en une cité pour adultes, Disneyworld, construite en Floride. La machinerie financière et industrielle, on n’ose plus dire artistique, était tellement perfectionnée qu’elle pouvait fonctionner sans lui. D’innombrables brevets répandaient depuis 1945 les figurines de ses dessins animés dans toutes les sphères commerciales. À sa mort, en décembre 1966, rien ne fut changé. Outre les rééditions périodiques, les productions Walt Disney ont continué jusque vers 1980 à «présenter» un ou deux films taillés sur le patron des anciens (Robin des Bois , Bernard et Bianca ). La prospérité ne se dément pas, mais du vivant de Disney, déjà, la routine l’avait emporté sur l’audace.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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